review

Le Figaro

Les tueurs de l'Alexanderplatz

 

Rosa Luxemburg et la révolution spartakiste, sujets de cet excellent polar américain.
 
Vous avez aimé La Trilogie berlinoise, de Philip Kerr, et les mésaventures de l'ex-commissaire Bernie Gunther sous le IIIe Reich et dans les décombres de l'empire du mal? Vous ne pourrez que dévorer le nouveau Jonathan Rabb.

Il y a un an, dans L'Homme intérieur (10/18), on découvrait le policier Nikolaï Hoffner menant une enquête complexe dans les milieux du cinéma, aidé par un certain Fritz Lang. L'action se déroulait à la fin des années 1920.

Aujourd'hui (parce que les livres paraissent dans le désordre), on retrouve Hoffner après la Grande Guerre et la défaite allemande. La révolution spartakiste n'est plus qu'un songe après la mort des deux leaders socialistes Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Hoffner, qui travaille à la Kripo (police criminelle), est sur les traces d'un tueur en série qui s'en prend à des femmes qu'il taillade après les avoir étranglées. Un jour, à la morgue, il découvre un nouveau corps qui n'est autre que celui de Rosa Luxemburg, lui aussi victime de scarifications. Très vite, la Polpo (police politique) s'empare de l'affaire et dérobe le corps. Malgré les mises en garde répétées de ses supérieurs, Hoffner n'a pas l'intention de se laisser intimider. Sa vie privée se révélant chaotique, le policier s'enfonce dans une enquête aux vastes ramifications.

Failles de l'histoire

De Bruges à Munich, lui, le flic aux racines russes et juives, l'ancien combattant, assiste à la montée en puissance de l'antisémitisme. Partout les Freikorps (corps francs qui deviendront sous l'autorité d'Ernst Röhm les Sections d'assaut à la solde de Hitler) composés d'anciens soldats traquent les ennemis de la grande Allemagne. Les théoriciens de la race supérieure se réjouissent de la disparition de «Rosa la Rouge, la petite Juive qui a tenté d'importer la révolution de Lénine à Berlin».

Dans l'ombre, les proches de cette dernière continuent de croire en sa cause et offrent à Hoffner la possibilité de mieux la comprendre grâce à des documents intimes fascinants.

Comme l'Écossais Philip Kerr, l'américain Jonathan Rabb utilise un fonds historique sérieux, met en scène des personnages réels et profite des moindres interstices, des plus petites failles de l'histoire pour laisser libre cours à son imagination. Ainsi s'est-il passionné pour la période qui va de l'assassinat de Rosa Luxemburg, le 15 janvier 1919, à la réapparition, quatre mois plus tard, de son cadavre dans un canal de Berlin. On le suit dans cette histoire criminelle passionnante, apprenant au passage quantité de choses sur la presse de l'époque et le contexte politique de l'après-guerre. Et puis, il y a la fascination pour ce Berlin de 1919, cette «ville des mots», qui va bientôt devenir la capitale européenne des plaisirs et de la bohème. Juste avant d'être soumis au joug d'un petit caporal et de ses chemises noires à tête de mort. Rosa est incontestablement ce qui se fait de mieux en matière de polar historique.

Review by Bruno Corty
© Le Figaro 2011